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L’habitat du futur sera coopératif
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Brumaire, 05.02.2020

article publié dans Les Cahiers de la Semaine, Grand Est

 

La projection de l’habitat dans le futur, même proche, est indissociable des grands enjeux mondiaux et environnementaux. En tant qu’architectes, penser l’habitat du futur est une recherche constante : quels choix pour des matériaux responsables ? quelle performance énergétique viser ? comment réduire les déchets dans la production et la déconstruction des bâtiments ? comment rendre des logements de qualités accessibles à tous ? comment créer des logements plus en accord avec les besoins de ses habitants ?

Pour ce dernier point, une notion émergente en France mais déjà largement développée chez nos voisins allemands et suisses est celle de l’habitat participatif, sous sa forme coopérative notamment.

 

Habitat participatif, partagé, groupé, coopératif : qu’est-ce que c’est ?

Habitat partagé, habitat groupé, habitat coopératif : autant de termes qui distinguent les nuances d’une même aspiration à mettre en commun certains espaces ou usages. L’habitat participatif est le dénominateur commun à ces différents termes et s’inscrit dans le cadre des logements d’utilité publique avec la loi ALUR depuis 2014.

« [Il] permet à des groupes de citoyens de concevoir, créer et gérer leur habitat collectivement, en combinant espaces privatifs et espaces communs pour mieux répondre à leurs besoins, en cohérence avec leurs moyens et leurs aspirations »[1]

De nombreuses thématiques sont directement liées à l’habitat participatif, et seront discutées collectivement : comme le rapport à l’architecture et aux espaces, à l’écologie, à la gestion économique des contributions, aux espaces extérieurs, à la cohabitation entre particuliers et avec des entreprises, ou aux relations publiques par exemple.

Les espaces partagés peuvent prendre plusieurs formes, que ce soit pour les accès ou encore la proximité vis-à-vis des logements privés. Concrètement, c’est une chambre d’amis communes à quelques logements, une buanderie, des espaces de jeux extérieurs et intérieurs, une salle de fête, une cuisine d’été, des ateliers, une ludothèque ou une bibliothèque, des espaces de terrasse partagés, etc. La mise en commun de certains usages permet également de repenser les indispensables espaces privés sous un nouveau prisme et de requalifier leur importance. Par exemple, augmenter ou diminuer la taille de la chambre ou celle du salon, au vu des espaces de vie partagés à disposition.

La force de l’habitat coopératif

L’habitat coopératif se distingue des autres en prônant la propriété collective, la sortie du bien immobilier du système spéculatif et un fonctionnement démocratique. Ce modèle en France en est à ses balbutiements.

Dans le cadre de l’habitat coopératif, les habitants sont propriétaires et locataires : ils possèdent des parts de la coopérative, qui elle est propriétaire du bien, et ils paient un loyer, souvent assez bas. En tant que membres de la coopérative, les habitants s’engagent à participer à la prise de décision et à donner de leur temps pour la collectivité. En parallèle, la forme coopérative assure un fonctionnement à coûts réels.

Particularité du droit local, héritage des Baugenossenschaften[2] allemandes, il existe depuis plus de cent ans un statut juridique de Société Coopérative Immobilière en Moselle, Haut-Rhin et Bas-Rhin. Equivalent des coopératives germaniques, cette particularité n’a jamais été exploitée et ces sociétés coopératives sont très peu nombreuses.

La réalité des habitats coopératifs en Suisse

Les exemples d’habitat coopératif les plus connus en Suisse sont à Zurich (Kraftwerk, Dreieck, et plus récemment Kalkbreite ou Mehr als Wohnen) et à Genève (Ilôt 13, Coulouvrenière et autres logements gérés par la Cigüe, logements de la CODHA). Historiquement, ces coopératives autogérées sont issues de la culture du squat d’une part, mais également de la pratique démocratique et des habitudes de dialogue entre la ville et les coopératives. A Zurich, aujourd’hui, plus de 25% des logements sont gérés par des coopératives, que ce soit pour des logements bon marché ou pour des logements de plus haut standing. En termes d’architecture, on observe que cela impacte les formes de la ville. Les opérations sont moins stéréotypées, que ce soit au niveau de l’implantation des bâtiments ou au niveau du programme.

Un exemple à Genève est celui des logements étudiants de la Coulouvrenière, Place des Volontaires, qui repose sur une gestion coopérative et un fonctionnement participatif par les coopérateurs. Dans l’espace de la ville, cela se traduit par la présence d’un café ouvert à tous, selon des permanences régulières, en rez-de-chaussée, qui participe à la vie du quartier.

A Genève toujours, l’ilot 13 reste un exemple de coopération entre des habitants et les instances publiques. Ils se sont investis pour leur qualité de vie et ont su définir, en dialogue avec la ville, toutes les conditions nécessaires au maintien et au développement de leur habitat collectif avec ses spécificités : des espaces d’ateliers pour les habitants et coopérateurs, des espaces pour organiser des événements, de larges terrasses accessibles par tous. Et ces espaces participent activement au quartier et à la ville, au-delà de la collectivité de départ.

Centre-ville de Metz : l’habitat coopératif face à l’exode des commerces

Cette forme coopérative s’adapte à plus ou moins long terme, et pourrait également correspondre à des besoins d’occupations temporaires. Que ce soit à court, moyen ou long terme, cette gestion participative pourrait être une aubaine pour faire face à la perte de vitesse du centre-ville au niveau des commerces. En plus de garantir la gestion et l’entretien du patrimoine existant, la forme coopérative permet de créer de nouveaux usages collectifs propres à des besoins locaux.

Par exemple, au centre-ville de Metz, les locaux commerciaux en pied d’immeuble sont de plus en plus désertés, même au niveau d’un axe piéton important comme celui de la Rue Serpenoise. Alors qu’une partie importante de la population est toujours friande d’accéder à un logement au centre-ville et qu’une autre y habitant déjà, pourrait être ouvert à une mutation en coopérative. Il faut trouver une connivence.

En imaginant qu’une partie des immeubles du centre puisse être gérée en coopérative, il y aurait alors de nouveaux usages, en rez-de-chaussée notamment. Ces usages seraient tenus dans le temps par les engagements que la forme coopérative induit : un café, même s’il est ouvert quelques heures par jour ou par semaine, un atelier, un bar associatif, un supermarché coopératif… toutes ces possibilités pourraient, même temporairement, redynamiser le centre et pourquoi pas se muer en un projet de plus longue durée, ou céder la place à de nouveaux intéressés, attirés par le bouillonnement généré.

En France, l’idée que le logement bon marché puisse être auto-financé commence à faire son chemin[3]. A l’instar des projets les plus récents qui intègrent les commerces, crèches ou autres services, un projet d’habitat coopératif au centre-ville de Metz pourrait bénéficier à son dynamisme. Fort du droit local, on pourrait imaginer prendre exemple sur les sociétés coopératives immobilières à but non-lucratif existantes qui n’ont rien à envier à l’économie solidaire et sociale.

Mais surtout, et les coopératives l’ont bien compris, un projet d’habitat coopératif est l’occasion d’engager un concours d’architecture sur esquisse ou un dialogue poussé entre le ou les architectes choisis et les usagers, gage de qualité des deux côtés. Pour les futurs usagers et la coopérative d’une part car ils entament un processus d’échange (souvent en 2 ou 3 phases) sur leurs besoins réels, et pour les architectes d’autre part car une maîtrise d’ouvrage engagée dans son projet, et pas seulement de manière économique, permet de mieux faire avancer le projet.

Patrick Bouchain soutient que le travail dépasse la matière. Il veut introduire dans le logement social, le fait de laisser les habitants se réapproprier leur logement. Parce que l’habitant l’entretient, le gère, le transforme, cela crée de la valeur, et cette valeur pourrait remplacer, en partie au moins, le loyer. S’il va plus loin que les habitats coopératifs, ce qui est intéressant ici c’est l’idée de donner de la valeur au fait de s’approprier quelque chose à plusieurs.

 

[1] Définition de la plateforme nationale de l’habitat participatif

[2] Traduction : coopérative immobilière

[3] https://www.espazium.ch/fr/actualites/zurich-lincroyable-dynamisme-des-cooperatives-de-logement